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4. GASTON LAUNER. Au ravito ! - Les combats font rage - Premier chewing-gum - Pauvre Marquis ! - Le retour du père* - Secrétaire de mairie - Des ordures qui osent tout - Épilogue.

Pour écouter la conférence donnée par Gaston Launer, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous :

 

""Et-ce que je veux citer , c'est que je vais être chargé, parce que j'ai plus de parents - c'est l'amie de mon père, ses parents qui me surveillent, je me débrouille comme je peux - je suis chargé d'aller tous les jours dans une ferme chercher à manger et, si j'ai pas mon sac à dos rempli, j'ai pas de compliments, au contraire.

Je me souviens une, deux, trois fois, j'ai flané, je me suis mis assis sur le talus et puis je regardais le ciel bleu, il me semblait voir le visage de ma maman.

Et puis, avec la vague d'avions américains qui passaient en permanence pour aller bombarder les villes allemandes, je me disais "mon papa est peut-être sous les bombes".

Et puis, mon petit frère, je le vois plus : "qu'est-ce qu'il fait ?".

Alors, assis sur le talus, je me mettais à pleurer. Et mon petit chien, mon petit chien Marquis, me léchait les larmes qui coulaient le long de mes joues.

 

L'avant-dernier jour, avant la Libération, malgré les combats qui sont tout proches, je suis encore obligé d'aller chercher à manger dans une ferme.

Quand j'arrive à la ferme, alors que j'entends les balles siffler, que je vois les balles traçantes, que j'entends les coups de canon de plus en plus proches, à la ferme tout le monde est dans les caves. On me dit de rester avec eux.

Je dis "non ! On m'attend en bas".

Et malgré les risques, je redescends au village.

Alors, sorti du petit bois que j'étais obligé de traverser, je vois huit, dix allemands, fusil à la main, prêts à tirer. Par réflexe, je me jette dans l'eau, le fossé; mon petit chien me suit. Les allemands m'enjamberont sans me voir.

Quand je rentre à la maison, je me ferai enguirlander, pas parce que je n'ai pas de ravitaillement mais parce que je suis plein de boue. Mais je ne dirai jamais pourquoi j'étais plein de boue.

 

Et puis, on couche à la cave, on couchait sur des tas de patates avec le nez qui coulait. Au plafond, on respirait le moisi. Ça puait tellement qu'on avait le goût toute la journée.

 

Et le jour de la Libération, je ne voulais pas rester couché, rester enfermé à la cave à la lumière des bougies, je suis sorti dehors, j'ai traversé le grand jardin et puis j'ai vu.

Je regarde du côté d'un rocher, je vois les allemands qui fuyaient, le fusil à la main; et puis je vois : les allemands avaient construit un barrage en travers de la rue qui était haut de quatre ou cinq mètres et puis je vois tout à coup un char.

Je dis "c'est les américains !".

Le char arrête, il va tirer deux, trois coups de canon et je vois sous mes yeux le barrage qui éclate, qui part en éclats partout.

Et puis, je vois un deuxième char. Je recours de l'autre côté pour aller sur la route. Alors que tout le monde est dans les caves, je suis le seul, le gamin au milieu de la route, qui fait du bras, tend les bras pour faire arrêter le char qui vient.

Le char aurait pu m'écraser ou bien aurait pu tirer sur moi. Non, le char va s'arrêter sur le bord de la route. Et les autres qui suivront, l'un aprés l'autre (incompréhensible/07'04'').

Et je vais crier, crier pour que les gens sortent "les américains sont là !"

Les gens vont sortir, prudemment. Et moi, je vais monter sur le premier char.

Les américains vont me (incompréhensible/06'52'') chewing-gum; le chewing-gum, je ne savais pas ce que c'était; j'ai découvert le chewing-gum.

Et puis les américains vont rester là, pour la nuit, de nous conseiller de passer encore une nuit à la cave.

 

Et le lendemain, le surlendemain, ça va être le défilé des chars, des chars, des chars qui partent sur l'Alsace, tout ça. Les drapeaux tricolores sont sortis; les gens, tout le monde est sur le bord de la route, moi aussi, encore mon petit chien.

Mais mon petit chien comme nous tous, on n'est pas habitués à cela. Et mon petit chien, tout à coup, va vouloir traverser la route. Il va être écrasé sous les chaînes d'un char, sous mes yeux. Et tous les chars qui suivent vont passer dessus. Il ne restera plus qu'une tache rouge sur le bord de la route.

Mon petit chien, il avait (incompréhensible/05'36'') deux jours avant. Je l'ai pleuré.

 

Je ne vais pas parler de toute la période jusqu'à le retour de la déportation.

 
"Ici a été déposée de la terre de Dachau. 22 novembre 1945". (Plaque adossée au bas de la façade de la mairie de La Petite-Raon).

Quand mon père est arrivé - il était au camp de Dachau - j'ai reçu un message de lui, c'était le 15 mai 1945, le même jour j'avais été appelé à la mairie par mon directeur d'école et le maire qui m'avait proposé la place de secrétaire de mairie parce que le secrétaire de mairie était mort en déportation. Ils avaient eu confirmation.

J'ai dit "attendez ! J'ai dit "mon père rentre demain, je viens de recevoir un télégramme". Mon père voulait que je fasse son métier de tailleur d'habits.

C'est avec une grande impatience que j'ai attendu le retour de mon père, seul dans ma maison. Il est arrivé blessé mais vers onze heures du matin.

On s'est jetés (incompréhensible/04'11'') dans les bras en pleurant; j'ai trouvé mon père bien léger, il ne pesait plus que 34 kilos. "Les salauds !" qu'il me dit. Oui ! il avait reçu vingt-cinq coups de bâton sur les reins pour avoir ramassé un morceau de pain, des coups qui lui seront fatals puisqu'il mourra d'un cancer des reins.

 

Ensuite, je suis rentré à la mairie de La Petite-Raon.

J'ai eu une tâche pénible, je ne connaissais rien au travail. Le maire m'avait dit "on t'apprendra ton travail". Et à 15 ans, j'étais secrétaire de mairie. Le secrétaire principal étant au conseil général, étant toujours absent, je devais gérer administrativement une population de 1.500 habitants.

 

Les premiers hommes qui sont venus à la mairie pour avoir des cartes de combattant-résistant et des primes, et bien c'étaient les anciens collabos des nazis. C'étaient eux qui avaient "le courage" de venir demander, alors que les véritables résistants, ceux qui avaient souffert, attendaient qu'on les convoque à la mairie.

Mais moi, le gamin intrépide que j'étais, au risque de j'sais pas quoi, je fichais à la corbeille les dossiers de ces collabos et comme c'était moi qui brûlait tous les soirs les papiers de la corbeille derrière la mairie, il n'y avait plus de trace de ces dossiers.

Mais certains vont passer à travers et certains ont été décorés devant mes yeux alors que j'étais correspondant de presse parce que j'avais été sollicité pour être correspondant de presse, parce qu'il n'y avait plus d'homme dans le village pour ainsi dire.

Et vous savez, j'avais envie de crier : " c'est des nazis !" quand je prenais les photos de ces gens qui étaient décorés et que je savais que çà avaient été des collabos des nazis.

 
L'avait-il ainsi prénommé en souvenir de son propre petit frère ?
Tombe "Famille Launer" au cimetière de La Petite-Raon.

J'aurais tellement de choses encore à dire, j'en aurais pour longtemps. Mais j'ai écrit un livre que je raconte tout ce que j'ai vécu, tout ce qui s'est passé que j'ai connu. Roland, mon petit frère, lui, est mort à l'âge de 17 ans, sans doute des mauvais traitements, de la mauvaise nourriture que nous avons eus, et mon père est mort à l'âge de 49 ans des suites d'un cancer des reins.

Mon histoire sera encore longue, elle est écrite dans mon livre.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

 

*Contrairement à ce qui est écrit en dernière page du numéro 46 de Le Médianimonastérien.

 

À VENDREDI PROCHAIN , 27 SEPTEMBRE !

 

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